Pour mon deuxième objectif de la saison je souhaitais courir plus de 100km, pas trop loin de la maison et sur un profil plutôt roulant. Le 110km du Grand Trail du Saint Jacques en Haute-Loire est l’épreuve correspondant à mes envies et mes entraînements sont tournés depuis plusieurs semaines vers cet objectif. Tout les voyants sont au vert à l’approche du jour J même si je dois composer avec un tendon d’Achille droit un peu capricieux.

En jetant un oeil à la liste des favoris ITRA qui donne toujours une bonne indication des forces en présence au départ je vois que je suis le favori numéro 1 et que seul Vivien Reynaud semble pouvoir m’accompagner (mais celui-ci a abandonné récemment l’Ultra Race d’Annecy et je doute à juste titre de sa présence au départ).

Ainsi je me fixe comme objectif de parcourir les 110km et 3300m+ en tout juste 10h …

Le départ a lieu à 4h30 du matin au Domaine du Sauvage dans les montagnes de la Margeride. L’ami Fred m’y a déposé quelques minutes avant le départ et nous avons laissé la famille et les copains dormir au gîte de Saugues après une courte nuit rythmée par le ramdam des jeunes fêtards du village … Nous sommes à peine une centaine et l’atmosphère brumeuse donne un côté plutôt mystique à ce voyage plus ou moins long qui se prépare.

Dès les premiers mètres je prends la tête. Mon objectif avoué de m’approcher le plus près possible des 10 heures m’oblige à partir relativement vite sur les 35 premiers kms dont le profil est plutôt descendant. Je suis seulement accompagné de mon ombre projetée au sol par le faisceau des frontales de mes poursuivants mais très vite l’écart grandissant et le jour se levant celle-ci me laisse seul. Les kilomètres défilent vite, les sensations sont bonnes et le parcours quasiment sans difficulté technique si ce n’est la présence possible de la bête du Gévaudan me permet de voyager autour de 14km/h.

J’arrive à proximité de Saugues où les bénévoles pas encore en place sont surpris de me voir déjà. Du coup pas aiguillé je me retrouve quelques instants hors du parcours mais un œil sur la trace rentrée dans ma nouvelle Suunto Spartan Ultra me permet de retrouver très vite le chemin. Je contourne le plan d’eau où des fêtards encore éméchés finissent leur nuit et m’encouragent à leur manière puis commence à grimper dans le village. Je m’attends d’une minute à l’autre à rejoindre le ravitaillement pour changer mes 2 bouteilles de 400ml que j’ai déjà vidées mais rien à l’horizon. Je déambule dans les ruelles en suivant le balisage mais très vite je comprends que j’ai dû rater le ravito lors du cafouillage à l’entrée du village. Un bénévole que je questionne me le confirme. Ben zut alors, ça commence bien. Un coup de fil à ma maman qui devait me ravitailler pour lui annoncer que je suis déjà passé et je continue mon petit bonhomme de chemin. Je sais que le prochain ravitaillement se trouve dans une heure et que je peux tenir sans boire car il ne fait encore pas trop chaud en ce début de matinée. Je pense aux gens qui me suivent via internet et qui vont donc penser que je n’ai pas atteint le premier pointage à Saugues et que j’ai abandonné ! Un instant je songe aussi que je pourrais être déclassé mais je me rassure avec le fait que j’aurai ma trace dans ma montre et le suivi Trail Connect de mon portable pour prouver ma bonne foi !

Le parcours devient un peu plus sauvage et les habitations se font très rares. Certains passages ont été ouverts spécialement pour nous par un bon débroussaillage et il faut faire attention au terrain plein de trous. Certains singles en dévers m’obligent pour la première fois depuis le départ à marcher pour ne pas prendre trop de risques. La descente sur le petit pont en pierres au-dessus de la petite rivière la Seuge et la remontée vers la Chapelle Notre-Dame Destours sont très agréables et j’essaie de profiter un maximum du décor dans lequel je gambade.

J’arrive à Prades après une descente plutôt roulante où je peux allonger la foulée et j’y retrouve mon fidèle Séb venu faire l’assistance avant de rejoindre Bains où il doit prendre le départ du 20km. Après 35km et 2h37 de course je suis pile poil sur mes temps de passage escomptés et prêt à attaquer la trentaine de kilomètres beaucoup plus accidentés jusqu’à St Jean Lachalm les bidons pleins !

13km me séparent de Monistrol où m’attend toute la famille. J’ai troqué ma frontale contre ma visière afin de me protéger du soleil qui va bientôt taper fort. La grimpée au-dessus des gorges de l’Allier se fait en deux temps et est plutôt bien agréable. Je me régale en grimpant les esses tout en herbes au-dessus du petit hameau de Pissis et je m’oblige à marcher afin de ne pas trop puiser dans les réserves même si je sens que je pourrais aller plus vite. Je croise quelques randonneurs qui partent pour leur journée de marche et après une descente piégeuse bien négociée j’arrive à Monistrol accueilli par les coureurs du Trail du Gévaudan qui doivent s’élancer dans une quarantaine de minutes. Je retrouve mon assistance après avoir traversé le pont métallique surplombant l’Allier. Je fais un arrêt express, juste le temps de changer les bidons et faire un coucou à Marianne qui dort profondément. J’ai presque 10 minutes d’avance sur mes prévisions, tout va bien.

Après avoir longé l’Allier sur un chemin difficile plein de galets j’arrive au pied de la grimpée vers Rochegude. Pas évidente, d’abord en hors-piste et tout en dévers mais plus praticable une fois rejoins le GR65. Des prémices de crampes me rappellent qu’il faut que je m’hydrate sans cesse mais me laissent vite tranquille. Je parviens au sommet après une montée bien raide en forêt et n’ai plus qu’à me laisser descendre vers St Privat d’Allier où je vais pouvoir à nouveau retrouver la famille et me ravitailler. Un tour dans les belles ruelles tout en pierres du village pour rejoindre le ravitaillement installé sur une esplanade en herbe et ombragée. Encore une fois arrêt express malgré mon avance car ce qui est pris n’est plus à prendre.

Je perds un peu de temps à la sortie du village car il manque un peu de balisage et les bénévoles qui viennent de voir s’élancer les coureurs du Trail de la Via Podiensis se sont absentés n’attendant pas le premier de l’Ultra si tôt ! 4 minutes de perdues mais encore une fois la trace dans la montre me permet de retrouver le bon chemin.

Tandis que ça descend plutôt raide dans le fond de vallée je commence à doubler des participants de la Via Podiensis. Au début pas nombreux mais tandis que j’attaque l’ascension vers St Jean Lachalm c’est une file quasi ininterrompue que je dois doubler. Seul depuis plus de 5 heures c’est sympa de retrouver du monde mais le sentier n’est pas large et je dois sans cesse demander à passer : « Attention, merci, attention, s’il vous plait, je passe à gauche, merci, pardon, merci, bon courage …   » . Je suis parfois un peu ralenti mais la grimpette est plutôt difficile et j’en profite pour essayer de bien récupérer. Et les encouragements à mon égard sont revigorants ! Je retrouve le ravitaillement où se trouve beaucoup de monde. Faut dire que la vue panoramique y est bien sympa.

André m’informe que j’ai 40 minutes d’avance sur les poursuivants et a l’air de s’inquiéter sur ma stratégie qui pourrait paraitre suicidaire. Mais depuis ce matin je ne m’occupe que de moi et si j’ai autant d’avance ce n’est pas de mon fait 🙂 ! J’ai toujours l’ambition de rejoindre le Puy en Velay vers 14h30 et suis toujours dans les clous pour y parvenir. Je prends un peu plus de temps cette fois-ci pour échanger quelques mots avec la famille puis repars direction le lac du Bouchet où je dois la retrouver dans une quinzaine de kilomètres.

Le profil est maintenant roulant avec de longues lignes droites et des champs à perte de vue. Je double encore des coureurs puis me retrouve seul car la boucle vers le Bouchet est exclusivement réservée à nous autres participants du 110km. Je cours encore bien même si la fatigue commence à se faire sentir. D’ailleurs une chute heureusement sans gravité me rappelle à l’ordre. Un pied qui traîne et me voilà en une fraction de seconde projeté au sol sous le regard médusé d’un agriculteur qui venait de descendre de son tracteur pour m’encourager ! Je me relève illico et constatant qu’il n’y a rien que quelques égratignures je reprends ma route. La paume des mains saigne un peu et je songe à l’arrivée que je me suis promis de franchir avec ma petite Marianne dans les bras. Les mains en sang ça va pas le faire … Heureusement un peu plus loin une bachasse dans laquelle je trempe ma casquette pour me rafraîchir me permet aussi de nettoyer mes mains.

A l’approche du lac du Bouchet je retrouve de l’ombre et un peu de fraîcheur en forêt. Les pistes et petites routes ont laissé place à des sentiers plus techniques et vallonnés avant de rejoindre la piste le long du lac et de retrouver mon assistance au ravitaillement. J’ai 79km dans les pattes et 7h30 d’effort mais je me sens encore bien. On discute un peu, je refuse la salade de riz gentiment proposée et un gars plutôt sympa me fait le topo des kilomètres restants. Plus qu’à monter au signal du Déves et à se laisser descendre jusqu’au Puy en Velay. En théorie ça parait simple et j’ai 2h30 pour avaler les 30 derniers kilomètres si je veux arriver à 14h30 … A priori faisable vu le profil descendant jusqu’à l’arrivée.

Mais il faut d’abord se hisser jusqu’au sommet du Mont Recours puis au Déves point culminant de l’épreuve (1421m) et c’est raide ! Pas long mais droit dans la pente et ma vitesse moyenne fond à vu d’œil. Au sommet il reste 26km que je dois avaler à 15km/h de moyenne pour arriver en 10h. Je sais que c’est impossible mais je ne compte pas lâcher l’affaire et finir malgré tout le plus rapidement possible. Le début de la descente où je retrouve à nouveau des participants aux autres distances ne permet pas d’allonger la foulée, les jambes sont raides, la pente aussi et le sol plein de cailloux. Je retrouve une vitesse « correcte » entre 12 et 13km/h sur les chemins et petites routes goudronnées menant à St Christophe sur Dolaison. J’y arrive avec 20 minutes de retard sur mes prévisions sans pourtant avoir connu de défaillance. Juste sous estimé la difficulté de ces derniers kilomètres.

Je m’assois quelques secondes pour m’arroser et bien m’hydrater. La famille est là et Marianne comme son papa commence à fatiguer et j’entends ses pleurs sortir du cosy. Raison de plus pour vite en terminer ! Il reste 13km et dans ma tête je me sens capable de les faire en une heure. Mais c’est oublié que le Saint Jacques c’est du trail et pas une course sur route et le final va s’avérer plein de surprises !!

J’aperçois le Puy pas très loin en contrebas mais il n’y a pas un mètre de plat et le profil est vraiment casse-pattes et la trace pas des plus directe pour rejoindre l’arrivée. Les organisateurs ont décidé de nous faire découvrir quelques passages atypiques et c’est plutôt sympa et tant pis si mon objectif temps n’est pas atteint. C’est ainsi que je découvre que les fameuses cabanes en pierres s’appellent ici les chabottes et que pour y accéder il faut passer sur des énormes pierres et s’accrocher à une main-courante métallique pour éviter la chute ! Les kilomètres ne défilent plus très vite mais l’arrivée semble proche lorsque le balisage me fait prendre à gauche sur le parking de l’Usine Fontanille fleuron de la production de la dentelle du Puy. On la traverse de tout son long sur plusieurs centaines de mètres et c’est plutôt original. A la sortie des salariés proposent un ravitaillement liquide mais j’ai tellement envie d’en terminer que je file sans m’arrêter. Me voici dans la descente menant au pied de la côte d’arrivée. Fred, Max et Clément sont venus à ma rencontre et courent à mes côtés, enfin surtout les deux gamins 🙂 ! Je suis maintenant dans les rues pavées piétonnes du centre historique, les terrasses sont pleines et j’entends la voix du speaker tout à côté. Et enfin la dernière ligne droite menant au pied de l’impressionnante cathédrale Notre Dame de l’Annonciation. Il y a énormément de monde pour m’accompagner jusqu’en haut et sous les applaudissements je me sens porté. Je cherche du regard Murielle que je trouve enfin et qui me tend Marianne pour cette arrivée tant de fois rêvée. Et pour reprendre l’expression du journal local, je franchis l’arche d’arrivée tel un héros portant son nourrisson au baptême !!

Finalement il m’aura fallu près de 10h55 pour venir à bout des 110km de ce joli parcours et le final casse-pattes aura eu raison de moi. Mais pas de regrets j’ai fait le maximum et avec près d’1h35 d’avance sur Gaetan Roth et Yannick Maurin qui complètent le podium cela aurait été outrageux d’aller plus vite 🙂 !

Revue de presse